Thierry Crusem: un Artiste impulseur de Vie...
Crédit photo: Margaux Gatti
Performance "Impulsion A la Vie" par Thierry Crusem
Rêveurs, rêveuses, il y a longtemps que je ne vous avais pas apporté sur un plateau une belle nouveauté. L'erreur sera désormais réparée puisque je vous livre ici une interview réalisée il y a quelques semaines déjà. Par une soirée ensoleillée, j'ai passé un moment que j'ai ressenti avec une intensité forte et rare. J'ai rencontré l'artiste peintre Thierry Crusem, mais j'ai aussi rencontré l'homme. Entre humour, sérieux, réflexion, émotion aussi, vous allez découvrir et faire connaissance ici avec un artiste atypique, habité par la force de son art, mais aussi d'une sensibilité et d'une gentillesse qui n'ont pas encore fini de me bouleverser. Comme il le fait sur une toile, je l'ai laissé s'exprimer, librement, sans trop l'interrompre. Et je suis certaine que vous aussi, vous ne pourrez être que touchés par le personnage d'une part, et la personne d'autre part... Et vous comprendrez sans doute plus facilement pourquoi cet "accouchement littéraire" a été long, entre le moment où j'ai recueilli ses confidences et aujourd'hui, où je vous les livre.
Merci Thierry de m'accorder de ton temps pour faire découvrir ton travail à mes lecteurs! Pour commencer, peux-tu te présenter: comment es-tu venu à l'art? Quel est ton parcours? Quelle est la genèse de ton parcours artistique?
Je n'étais pas du tout prédestiné à l'art. Dans ma famille, tous ont des capacités mais ils n'ont pas eu l'angle pour révéler les choses. Pour moi, c'est un hasard comme il y en a plein. Mon père était un vrai artiste. Il faisait de la ferronnerie, de la sculpture sur bois et mille autres choses encore. Mais il était d'une famille où personne ne lui a fait prendre conscience de ce qu'il pouvait faire de ça. Et puis il est tombé malade très jeune. Moi aussi j'étais très jeune, donc il n'a jamais pu me transmettre quoi que ce soit par rapport à son savoir-faire. Mais finalement c'est ça qui a fait que! J'étais un élève brillant au primaire, au début du collège aussi.
Et puis à 12-13 ans, je me suis retrouvé perdu par la situation familiale. Je me suis oublié et je ne faisais plus rien. Au milieu de ce vide intersidéral, à l'internat, je rencontre un pote qui était le fils du bassiste qui avait joué avec CharlElie Couture. Lui naturellement, dans la digne direction de son père, savait jouer, composer, écrire. Il me propose de monter un groupe. Mais je n'avais jamais fait de musique moi! J'avais économisé mes sous pour m'acheter une mobylette, fin du collège. Alors... je me suis acheté une batterie! Il m'a appris 2 rythmes et 3 breaks et on s'est retrouvé au Ban St-Jean, qui est actuellement un sanctuaire pour tous les anciens détenus Ukrainiens et Russes que les Allemands avaient fait prisonniers pendant la guerre. A l'époque, ces maisons étaient habitées et lui y habitait justement! On répétait dans un grenier. Nous voilà partis comme des fous furieux à se voir tous les soirs, il avait plein d'idée, moi je savais quelques rythmes à la batterie et on a pu faire notre premier concert... qui a été un carnage total! L'ampli du bassiste a pris feu pendant le concert, bref, une rigolade totale! Mais j'avais le pied dedans.
De fil en aiguille je décroche mon Bac, je fais un BTS pour continuer un truc. Mais je développe mes projets de groupe au fur et à mesure à côté. Quand j'ai eu mon BTS j'aurai pu continuer en fac mais à ce moment j'avais un groupe qui s'appelait Mamie Tonk. Pur jus "bassin houiller", on était 5-6 gars là-dedans, et on faisait beaucoup de concerts. On avait déjà fait 2 tournées dans le Sud de la France. Et on se posait la question de passer le cap pour devenir intermittents. Mais on n'avait pas de structure. Je décide donc de faire un stage de producteur à Paris, à l'IRMA, après mon BTS. J'en reviens, et avec 2 autres collègues, je monte une SARL, qui a été mon premier projet professionnel, une maison de disques. ça m'a permis de gérer l'administratif et surtout d'apprendre mon métier. Se faisant, avec toute l'équipe j'arrive à monter une super tournée, toute l'équipe devient intermittente. ça continue pendant 3 - 4 ans, et on vit des choses extraordinaires. Et avec tout les clichés possible d'un groupe de rock, des histoires de fous furieux! Il y avait dans ce groupe une énergie fulgurante, on faisait des choses hallucinantes. Mais dans la jeunesse où j'étais, je ne me rendais pas compte du précieux de la chose. Après j'ai monté d'autres projets intéressants, épanouissants, mais sans jamais retrouver l'engagement des uns et des autres, sauf dans le dernier projet de performance en date dans la peinture. Mais c'était aussi un apprentissage.
Et puis finalement le groupe a splitté alors qu'on avait été signé tout à la fin par Jean-Louis Pick, qui a un énorme studio près de Lille qui s'appelle Le Taxi Noir. Enorme structure qui fait des doublages pour Canal +, France 2, etc. Lui était un des membres de Air Productions, qui produisait Taratata. Il a un coup de coeur énorme pour le groupe, il nous cale 7 ou 8 jours de studio. Un tel studio qu'en arrivant on s'est demandé si on serait à la hauteur. Le tout avec un ingénieur du son de Taratata et avec aussi François Théry, qui venait de travailler avec les Rita Mitsouko sur leur album de l'époque. Aujourd'hui il produit des documentaires sur des pays étrangers, avec Arte souvent. On continue aujourd'hui à garder le contact. Donc avec le groupe, on met la gomme pour terminer l'enregistrement. Quand il nous annonce qu'il veut sortir l'album en national avec une super promo, et que pour lancer l'album il nous fait passer sur Taratata pour la sortie officielle. Et puis le coup classique, des histoires au sein du groupe nous amène à splitter un mois avant le passage à Taratata. Je me retrouve seul avec le batteur. Et je décide de jeter l'éponge. Voilà la première remise en question sur mon chemin. Ce qui occupait tout mon espace professionnel venait de s'arrêter et je me retrouve en face d'un vide sidéral. Je fais quoi? Je devais avoir 25 ans et tout les gens qui sont un peu dans la norme te mettent la pression pour te trouver un boulot. C'est dur de garder pied face à ça, mais c'est l'apprentissage de la Vie! Il n'y a jamais rien pour rien!
Je cogite 1 mois sur ce que je pourrais bien faire et puis j'ai le coup de fil d'un ami, qui était à l'époque logisticien pour Médecins Sans Frontière. Il était alors au bord du désert somalien, au Nord-Est du Kenya. Je lui raconte mes histoires. Il me propose de m'inclure à l'équipe et de le rejoindre. Rien ne me retient alors Banzaï! Je le fais! Pour 5 semaines, ce qui est peu et beaucoup à la fois. Je prends un billet, je me retrouve dans un avion, à atterrir sur l'aéroport de Nairobi en me disant: "Mais qu'est-ce que je fous là?!"! Et en fait je me retrouve dans un petit coucou dans lequel je me rends compte qu'on transporte aussi, et légalement, des sacs entiers de myrrha, qu'on appelle aussi du khât!!!!!!! Quand tu comprends après ce qui se passe, tu es juste pété de rire!
Et puis une fois que j'atterris, je suis projeté dans la science-fiction totale: on va au camp de base, on me présente toute l'équipe, où toutes les nationalités se sont côtoyées. Donc on a fait des distributions alimentaires dans le désert, etc... Un truc de taré!
Oui mais tu es un habitué des trucs de tarés, non?!
Oh si peu! Mais du coup je suis complètement sortie de la bulle occidentale. C'est-à-dire que quand tu regardes des documentaires avec ton oeil occidental, tu crois savoir comment sont les choses et en fait non. Là tu es projeté... Wouah! Rien qu'en descendant de l'avion tu ressens des vibrations, des choses très fortes, comme si tu revenais aux origines. Ensuite tu arrives avec tes habitudes. Il faut avoir la capacité de s'adapter illico presto. Mais c'était fabuleux, extraordinaire.
Ensuite mon pote a pu récupérer ses congés. Alors on a décidé d'aller au Kenya, mais que dans des endroits où il n'y avait pas de touriste. On s'est perdu, on a marché. Au bout d'une route il y avait 2 pistes: on a pris à gauche. On est arrivé dans un village. Panique totale! Tous les gamins criaient, allaient se cacher, d'autres étaient pétrifiés, pleuraient. Une seule baraque en dure, en ruines, l'ancienne poste, au milieu du village. Un arbre à côté, un ancien assis en-dessous. Il nous regarde et rigole! Il nous demande ce qu'on fout là et on lui dit qu'on s'est paumé et on lui demande pourquoi ils pleurent tous. Ce à quoi il a répondu:" ça fait 4 ans qu'aucun homme blanc n'est venu ici! Vous êtes des extraterrestre pour eux!".
J'écourte le récit mais donc après ça je reviens à Paris et là le retour est fulgurant! Je suis arrivé là en me disant: "Mais on est tous fous ici. On court comme des aveugles, on ne sait même pas pourquoi. C'est quoi le sens des choses?", et toutes ces questions là. Et comme il n'y a jamais rien pour rien, comme tu le sais maintenant, je m'enferme 6 mois, et je compose "Les couloirs de l'amer étonnant", qui a été mon gros projet suivant: l'Autre Système. Des choses très sympas, une tournée française. Tout ça était un parcours bien tracé: je vivais dans une belle maison, c'était la maison du bonheur, tout allait bien donc j'avais 50 millions d'amis, la tournée arrivait à son terme, j'avais remonté une structure, j'avais plein de retours extraordinaires, on s'apprêtait à sortir un album live, qui a été enregistré et mixé par Jean-Pascal Boffo, magicien, mec extraordinaire et très fidèle en amitié. Le plus dur était fait. C'était le début de la dégringolade. Deux ans après je me retrouve avec mon projet tombé à terre, l'équipe éclatée, je me sépare de ma compagne, mon père décède quelques mois avant. Hop, remise en question sur sa propre projection... Qui suis-je? Où je vais? Je fais quoi comme choix?
J'avais monté en parallèle un fabuleux projet avec des jeunes dans une cité qui n'étaient pas gâtés par la vie, en tant qu'intervenant musique. On avait enregistré en studio chez Jean-Pascal, ils avaient fait des dates en France. Et puis un membre de l'équipe décède. Moi de mon côté en plus je perds mon statut d'intermittent. Je me réveille un matin chez un pote sur un lit de camp, logé à l'arrache, avec mon sac. Et là ça me tombe dessus en me demandant ce qui m'arrive et comment j'avais fait pour en arriver là. Chaud les marrons! Très vite, réaction: je retrouve un appart où me poser et je redémarre à zéro. Et là j'avais 34-35 ans. Avant tu vois, je prévoyais les choses, j'avais des objectifs... Bien sûr que c'est important de se projeter, d'avoir des objectifs. Mais...
Qu'est-ce que tu retires de cette expérience? Quel bilan tu fais de cette transition de la musique vers la peinture? Qu'est-ce que ça t'a apporté?
Que du bonheur! Une école de la vie fondamentale. J'ai eu la chance de faire ce que j'aimais, de le faire avec des amis, on a eu la chance de partager ces projets avec un public, avec des moments très forts. On a notamment joué dans des prisons. Émotionnellement c'est très fort. On a amené du bonheur aux gens.
C'est assez extraordinaire, parce que je ne te sens même pas aigri par tout ça. En général c'est plutôt ce sentiment qui prédomine quand arrive la fin de quelque chose...
Ah oui mais moi pas du tout. Bon, sur le coup on m'a ramassé à la petite cuillère, du moins les amis qui sont restés. Et je les remercie au passage, ils se reconnaitront, ceux qui n'ont jamais abandonné notre échange amical et qui ont été là sans me juger. Simplement restés fidèles parce qu'ils savent aussi que la vie n'est pas simple parfois. Et que dans la cadre d'une amitié, on ne peut pas partager que des bonnes choses. Je suis chanceux d'avoir croisé la route de gens comme eux!
Et au milieu de tout ça, on en arrive à la peinture. C'est nourri de toutes ces expériences que tu en es venu là. C'est une transition qui t'a valu pas mal de critiques d'ailleurs je crois. Mais le sujet est très proche finalement, notamment dans ma chanson préférée "Le tout de rien", en tout cas dans mon interprétation, je sens un peu cet esprit de lâcher prise derrière. C'est une passerelle entre la musique et la peinture et ce n'est pas un hasard cette transition...
Jamais de hasard!!! C'est normal que tout le monde s'inquiète dans ces moments-là. Quand tout le monde t'a connu auteur, compositeur, interprète, chanteur pendant 15 ans et que du jour au lendemain tu changes de médium.
Alors que tu n'avais jamais eu l'idée avant, tu n'avais pas de prédisposition...
Non! C'est l'exploration des sens! Je pense qu'il faut une vie entière pour ça. Pour être très honnête, pendant mes années de musique, j'ai complètement développé mon oreille. Et tout ce qui m'était arrivé là m'a ouvert une autre porte. J'ai vraiment eu un appel intérieur. Il y a eu le besoin de développer le côté tactile et visuel. Mais le côté auditif est toujours là puisque je peins toujours en musique et ça reste la porte qui me permet d'accéder à tout ce que je matérialise dans la peinture.
Donc ce n'était pas par lassitude? Tu as voulu chercher un autre moyen d'expression?
La musique fait partie de ma vie. L'un ne va pas sans l'autre. Donc les gens se sont dit: "Mais qu'est-ce qu'il fait?! Il est taré de faire autre chose!" Pour être honnête, oui, j'étais fou! Mais ma grande force a été de m'accorder le droit de l'être. ça a été aussi une démarche d'art thérapie dans un premier temps pour me reconstruire. Parce que j'ai toujours vécu des projets collectifs. Je suis jusqu’au-boutiste. Je suis allé tout au bout de ce que je pouvais faire. Donc j'étais devenu une coquille vide. Je n'avais plus rien à chanter, à écrire, à donner, plus d'émotion à partager. J'étais meurtri intérieurement, pas bien dans ma vie.
C'est quand même un parcours hors du commun que celui que tu as. Parce que vivre autant de choses en 20 ans... C'est beaucoup 20 ans mais c'est peu à la fois. C'est rien.
Je suis heureux d'avoir fait tout ça, moi qui cultive une certaine lenteur! Parce que je le partage et parce que j'ai compris que c'était mon rôle dans la société dans laquelle on vit. Je le fais avec une sérénité que je n'ai jamais eu avant. Je propose des choses sincères, peu importe le résultat. C'est l'acte qui est beau et il me ressemble. Je ne cherche pas à faire quelque chose qui va plaire contrairement à ce que les gens pourraient imaginer. La beauté est de toute façon une notion subjective.
D'ailleurs je ne me dis pas peintre. Bon, OK, les gens ont besoin de me mettre dans un tiroir alors d'accord. Mais comme pour la musique, je suis autodidacte, alors qu'il y a des gens qui ont fait des années d'études pour ça, pour maitriser des techniques, des choses exceptionnelles...
J'étais récemment invité à un repas, un monsieur était là, c'était la première fois que je le rencontrais. Il avait un peu découvert mon travail, il était très curieux d'en parler et d'échanger avec moi. On discute, il me demande ce que je fais et je lui raconte mon parcours dans la musique, mon projet de performance "Impulsion à la Vie" que j'allais monter cette année-là. Je lui raconte mes peurs sur l'impro danse et musique, l'équilibrage de la toile en 45 minutes, le temps de la performance. Je lui explique ça. Et là il me regarde en souriant et me dit: "Ah oui d'accord! T'es pas un peintre, t'es un artiste!"! J'ai souris, puis j'ai ris, et là je savais qu'il m'avait donné la bonne définition! Alors, tu vois, il n'y a jamais rien pour rien. Je ne souhaite à personne les difficultés auxquelles je me suis cogné mais si tout ça n'était pas arrivé, je serai peut-être aujourd'hui sur un chemin qui ne serait pas le mien. J'ai un tel sentiment de justesse, de sérénité qui font que je ne suis plus le même homme. Je fais les choses parce que je sens qu'elles doivent être faites là. Je reviens aux émotions. Je le dis à tout le monde: "OK, on a tous des difficultés, mais ne regardez jamais le verre à demi vide. Regardez-le toujours à demi plein. Vous allez surement comprendre des choses, vous allez rebondir et être beaucoup plus près de ce que vous êtes vraiment." Quand tu n'as plus rien, tu es libre, tu peux à nouveau choisir. La vie est une bataille. Mais les solutions arrivent quand on a le courage de faire les choses et de les affronter. La grosse désillusion arrive quand on a peur et qu'on se rétracte, qu'on oublie ses idéaux, ses envies et ses rêves. On se s'écoute plus. Les années passent, on est malheureux, ça ricoche sur l'entourage et tout le monde est malheureux à la fin. Mais il faut du courage pour ça. Et je ne jugerai jamais quelqu'un qui n'a pas ce courage.
Alors je remercie la Vie d'avoir eu cette chance. Mais tout le monde peut l'avoir cette chance. Il suffit d'une lumière, d'une phrase bienveillante parfois. Aujourd'hui je mentalise beaucoup moins les choses, j'angoisse moins, même si les difficultés sont toujours là pour tout le monde. J'ai passé des années à écouter les autres. Je le fais encore mais différemment. Aujourd'hui je donne de la nourriture pour que les gens trouvent eux-même comment s'en sortir.
Et c'est tout le sujet de la performance monumentale de l'"Impulsion à la Vie". Si tu savais toutes les réactions qu'on a eut! Notamment quand on était venu à la MCF présenter la performance. En passant, gros clin d'oeil à toute l'équipe extraordinaire de la MCF et que je remercie infiniment d'avoir été là! C'est la salle la plus géniale de toute la région!
Alors les réactions lors de cette présentation, ce qui revenait c'était "une porte ouverte sur l"Univers", des gens ressortaient en pleurant, d'autres avaient besoin de parler, d'autres de rester dans le silence. J'avais amené les alternatives. C'était le plus important.
Alors tu vois, la symbolique développée dans la musique est la même que dans la peinture, mais par des moyens différents...
Oui, comme je disais tout à l'heure, il y a un réel fil conducteur entre l'album "Les couloirs de l'amer étonnant" et ta peinture. C'est absolument pas délirant comme transition...
Absolument pas. Mais chacun vit dans son propre espace temps. Tout ce que j'ai fait ce sont des graines plantées, qui poussent, qui servent, encore aujourd'hui même après l'arrêt de mes projets musicaux. Sans vouloir être un grand manitou, je ne cherche pas à convaincre qui que soit, vouloir une reconnaissance.
Non, mais ça nourrit la reconnaissance et c'est bien normal...
Bien sûr elle me fait du bien quand elle arrive. Mais j'assume mon parcours tel qu'il est. La fibre culturelle, historiquement et à chaque crise qu'on traverse, amène de quoi mettre dans la tête des gens un peu de légèreté et de bonheur. Je suis en parfaite résonance avec tout ça.
Tu peins seul. Mais l'équipe qui t'entoure dans la performance: est-ce que c'est non seulement une équipe qui t'aide parce que faire tout ça seul c'est impossible, mais aussi et surtout une manière pour toi de recréer la famille que tu avais dans la musique?
Je peux te répondre sur ce que je ressens aujourd'hui, mais je pense qu'il y a une part d'inconscient que je ne maitrise pas là-dessus. Maintenant, le fait que je peigne seul, ça vient du collectif que j'ai du gérer avant. C'est une façon de me retrouver que de peindre seul. Après, quand je suis revenu de tout ce vide, j'ai pris le chemin d'un magasin de peinture, j'ai acheté 5-6 couleurs, plusieurs toiles et je suis rentré chez moi. J'ai mis les couleurs dans une assiette en carton et j'ai allumé une bougie. On était dans cet espèce de vide, entre le jour et la nuit. ça prenait déjà forme par rapport à l'équation du Vide Médian. Je prenais la peinture sur les mains, je passais les mains sur la toile. J'avais besoin de ce côté tactile, sentir le grain de la toile. C'était mon premier contact avec la peinture et ça a été une révélation. Et là j'ai compris qu'il était hors de question à court terme de redémarrer un projet musical. Il fallait que je me recentre, que je retrouve contact avec mon Moi profond, avec ce que j'étais.
A ce moment-là tu as complètement occulté et balayé la musique alors...
Oh oui! Je pensais même que je n'en referai plus jamais. J'avais été trop traumatisé. Mais j'assume pleinement. J'étais allé trop loin. Mais donc je peins à la bougie, la nuit, quand les gens dorment, quand les vibrations sont zen, toujours en musique. Je ne suis pas dérangé par quoi que ce soit.
J'ai tout un rituel naturel avant de peindre. Quand je sens que quelque chose va arriver, je me libère du temps. Bien avant, j'essaie de trouver l'album qui correspond à l'émotion dans laquelle je me trouve à l'instant. Après, le CD tourne en boucle.
C'est digne d'un véritable accouchement en fait...
Oui c'est tout à fait ça. Après je me mets dans une position qui amène le lâcher prise, je me fais un thé, j'allume mes bougies. Si je ne fais pas ça, je ne peux pas accueillir ce qu'on m'envoie. La musique est la clé qui va m'ouvrir la porte et me permettre d'accueillir l'énergie que je vais mettre dans la peinture. Puis je m'habille avec ma tenue. Mes outils sont prêts. Je touche mes toiles vierges. J'en prépare une seule.
Tu as une sensation différente selon la toile que tu touches?
ça parait fou, mais oui. Et quand tout est prêt, il faut être dans l'abandon. Parfois, je suis dans cet état jusqu'à 2 ou 3 h du matin et je n'arrive pas à me recentrer sur le lâcher prise, le Vide Médian. Alors là j'éteins tout, je ferme tout, j'arrête, je vais me coucher. A l'inverse, parfois ça arrive très vite, très tôt. Là je peins d'une traite. En général, je mets 13h pour peindre une toile. Si le jour se lève et que je peins encore, je ferme les volets et je continue. Alors parfois ça m'amène jusqu'à midi, 13h. Quand tout est terminé, je vais me coucher, je découvre la toile plus tard. Comme je peins à la bougie, je n'ai pas de lumière artificielle. Ce n'est pas mon mental qui pilote les couleurs. Que l'émotion. Je distingue juste les températures et les contrastes. Tout est un travail de transformation. Et je m'en sers même dans ma vie de tout les jours.
Tu m'amènes à parler du vif du sujet, le Vide Médian: c'est un concept de François Cheng, qui est académicien. Tu vois, j'ai bossé le sujet pour ne pas arriver là comme une nouille! (Rires) Comme je ne connaissais pas du tout ni le concept, ni l'homme qui en est à l'origine... Tu vas me dire si j'ai bien tout compris: le Vide Médian, c'est ce qui est créé quand le yin et le yang sont mis ensemble? C'est une espèce de communion entre ce qu'on a à l'intérieur de soi et la matière.
Tu peux décrire le Vide Médian dans toutes les choses de la Vie qui nous entourent.
Il y a un Vide Médian partout?
Ah oui, absolument! Mais, sans vouloir m'approprier les propos de François Cheng, le concept n'a pas été inventé par lui.
ça remonte au taoïsme...
Oui, c'est une tradition, un concept séculaire dans toute l'Asie. Chez nous qui sommes rationnels, 1+1=2. Chez les asiatiques, 1+1=3.
Le fameux Grand Trois!
Eh oui! Tout est une question de respiration et de rythme. Sans ça, les choses sont mortes, n'existent pas. Le yin et le yang sont deux entités différentes, elles vivent indépendamment chacune. Mais à un moment, il y a un point de friction. On ne sait pas ce qu'il se passe après, mais si à la base il n'y a pas ça, il n'y aura rien après.
Tu as donc vécu ton Vide Médian toi aussi...
Mais tous! Sauf que moi j'en ai pris conscience! Mais ce n'était pas un hasard. Il a fallu que je me nourrisse à nouveau. Alors je me suis mis à lire, à écouter. Mais c'est cyclique. Ce sont des moments où tu construis des fondations. Après il faut digérer, comprendre, faire de la place pour les éléments suivants et pour avancer. Et ça permet de rester dans la justesse avec une phase de décompression nécessaire. Le trop est l'ennemi du bien.
Je comprends bien mieux pourquoi tu as choisis le concept de François Cheng. J'allais te poser la question: pourquoi lui et pas un autre ou une autre orientation philosophique? Puisque c'est un concept qu'on retrouve dans l'hindouisme, le bouddhisme et autres. On retrouve ces mêmes concepts de lâcher prise, de retour sur et en soi, de recherche de soi.
Tout à fait! Mais en dehors de ce concept du Vide Médian, les écrits de François Cheng sont extrêmement précieux, super beaux à lire. Mais dans toutes les démarches spirituelles, on peut trouver de la résonance. J'ai été très touché petit par le message religieux de par mes expériences de vie, mon enfance, mon passé. Mais je suis aujourd'hui un affranchi. Je peux lire une doctrine religieuse. Je peux comprendre qu'on y trouve quelque chose et je respecte la liberté de chacun. Mais qu'on respecte la mienne. On ne touche pas à mon libre-arbitre. J'investis la vie avec générosité avec les gens qui me touchent, mais je suis à un moment de ma vie, où je suis extrêmement vigilant dans la conservation de mon libre-arbitre, même si je dois me planter. Aujourd'hui on n'est plus dans le respect de l'Autre, l'épanouissement personnel. On est dans des schémas confessionnels élitistes préjudiciables à la liberté de tout le monde.
C'est peut-être la différence entre le fait de pratiquer une religion et le fait de voir un courant religieux comme une simple philosophie de vie. On peut se servir de certains préceptes sans forcément être croyant et appliquer à la lettre une religion...
Absolument! Il y a un moment, c'est de l'aliénation par la religion, et tu perds complètement le fil. Mais je le répète à qui veut bien l'entendre: dans l'Histoire, on a eu des penseurs qui ont amené un éclairage, un courant de pensée, des chemins utiles sans être des doctrines. Pour inviter l'humain à être ce qu'il est, à vivre sa vie. Il faut être heureux en étant ce qu'on est. Quand tu sais qui tu es, tu sais te placer dans la société, alors tu es plus serein et plus heureux, les gens sont plus heureux autour de toi et la société ne s'en porte que mieux.
Je suis entrain de digérer tout ce que tu dis! Donc pour digérer, une petite question technique! La performance "Impulsion à la Vie", c'est donc de la musique faite par Jean-Pascal...
Tout à fait. Il y a aussi Olivier Guerbeur, le percussionniste, qui agit avec Jean-Pascal. Il y a une danseuse, Jacinthe Janowskyj, accompagnée également dans la performance par David Metzner, pour reprendre les codes de l'Impulsion, le yin et le yang. C'est un plaisir pur d'être avec eux, il y a une vraie connexion émotionnelle. Ils sont fabuleux, généreux. C'est un cadeau. Valérie Morel va s'occuper de tout l'administratif du projet, du booking, etc... Tu as aussi Michèle Meftah, qui est la metteur en scène de l'équipe, et tant d'autres encore qui nous ont rejoint au fur et à mesure.
Avec cette performance, tu as gagné des prix. Est-ce que tu peux juste en dire quelques mots?
C'est mon travail en général qui m'a fait gagné des prix, pas la performance. Mais tu sais, comme je te disais, quand j'ai démarré la peinture je me suis dit que je n'allais rien programmer et je ne me donne aucun objectif. Je fais des expos, je rencontre des gens, on sympathise. J'ai rencontré des gens extraordinaires. Alors après, les prix... Ce n'est pas mon but. Je ne les cherche pas. ça sanctionne un travail, c'est bien. Je ne les refuse pas, ce sont des gens qui se sont plongés dans mon travail. Mais ce ne sont pas les prix qui ont fait les rencontres. C'est totalement éphémère et subjectif. C'est juste la fenêtre qui a permis de me faire connaître. C'est un outil pour aller plus loin.
Est-ce qu'il y a des expos prévues, dans les mois à venir, pour ceux qui veulent découvrir ton travail?
Le 14 Septembre, pour les Journées du Patrimoine, à Nilvange, on présente la performance.
Pour te retrouver sur Internet, il y a...
Sur Facebook la page Thierry Crusem - Le Grand Trois, il y a mon Profil Officiel, le site d' Indego Production et le site Internet legrandtrois.com.
Avant-dernière question: Thierry de retour dans la musique, c'est possible?!
Il y a un morceau de côté. On va sortir un single et sans doute une promo, un album, etc... En tout cas un single pour le moment. C'est un OVNI, bien décalé, dans le cadre d'un projet complètement fou!
Après j'ai composé une chanson, la première depuis 6 ans. Il fallait que je cicatrise. Mais c'est suite à un contact que j'ai eu avec une psychologue clinicienne il y a 2 ans, qui travaille sur une thèse. Je me suis dis que ce serait une belle manière de boucler la boucle. J'ai du sortir une chanson sur "pourquoi et comment je créé".
Je vais te faire parler une dernière fois, je te laisse carte blanche, il n'y a plus de question et tu dis ce que tu as envie de dire! Exprime-toi!
Tout a un sens, une raison d'être, il n'y a jamais rien pour rien. Il faut garder l'espoir et être patient. ça nous amène à un questionnement pour nos propres vies et vers une connexion sur des belles choses. Libre à chacun de prendre le chemin et faire les choix qu'il souhaite pour son bien. Mais il faut y croire sinon ça ne fonctionne pas. Ce n'est pas facile selon l'héritage qu'on a. Mais c'est un chemin qui se mérite. La vie appartient aux audacieux! Souriez à la Vie, la Vie vous sourira! C'est le début du bonheur! On ne vit qu'une fois!
Maître Zen, c'est votre dernier mot?!
Non! Je souhaite à tout le monde d'être heureux! Secondo, je le suis moi-même parce que je suis sur mon chemin, que je rencontre plein de gens supers et que ça va continuer. Et soit dit en passant, je donne encore un grand coup de chapeau à toute mon équipe de l'"Impulsion à la Vie", que ce soit l'équipe de la performance ou l'équipe de la MCF. C'est une grande famille. Et la dernière chose que je dirai, et tout le monde ne comprendra pas mais... AHUUUUUUUUUUUUUUUUU!!! Et aussi BANZAI!!!!
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